Montparnasse

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Il me fallait obligatoirement définir une promenade incluant la rue Campagne-Première située dans le quartier de Montparnasse où vécut Eugène Atget. Ainsi, c’est par cette rue que nous commencerons cette promenade.

Balzac, Zola, Walter Benjamin ont fait des descriptions du XIVème arrondissement peu inspirantes pour la promenade, tant étaient nombreux les établissements hospitaliers de la Maternité aux Hospices, les orphelinats et les couvents. C’était avant que ce quartier devienne le centre de la vie artistique et culturelle de la capitale au début du vingtième siècle, lorsque les artistes délaissèrent Montmartre pour Montparnasse, faisant ainsi la notoriété de cafés et restaurants comme la Closerie des Lilas et la Coupole. C’est aussi dans ce quartier que sont situées les Catacombes,  aujourd’hui un des premiers lieux visités de la capitale.

-  Nous arriverons par le métro à la station Raspail ou par le bus 68
-  Nous commencerons par la rue Campagne-Première ou vécurent Atget et Man Ray. Nous rejoindrons le boulevard Raspail par le calme passage d’Enfer et nous arriverons place Denfert-Rochereau où se situent les Catacombes
-  Nous ferons une boucle boulevard René-Coty, rue Hallé et boulevard du Général Leclerc avant de prendre le boulevard Arago, puis la rue du Faubourg Saint-Jacques où nous longerons le jardin de l’Observatoire
-  Nous rejoindrons l’Observatoire par la rue Cassini
-  Nous irons à Port-Royal aujourd’hui maternité et autrefois haut lieu du jansénisme et rejoindrons le Val-de-Grâce par la rue Pierre-Nicolle
-  Nous rejoindrons le jardin du Luxembourg par la  rue de l’Abbé-de-l’Epée et entrerons dans le jardin des Observateurs où se dresse la belle fontaine des Quatre Parties du Monde
- Nous rejoindrons ensuite le boulevard du Montparnasse jalonné des brasseries et cafés autrefois très fréquentés par les artistes et intellectuels de Montparnasse.

Rue Campagne-Première

Passage d'Enfer

C’est au 17bis de la rue Campagne-Première qu’Atget avait loué en 1899 un modeste appartement au cinquième étage. Alors âgé de quarante-deux ans, il venait juste de quitter son métier de comédien de théâtre.
Artiste dans l’âme, il s’essaya alors comme peintre et dessinateur, puis débuta dans la photographie, en prenant tout d’abord des photos de paysage qu’il procurait aux artistes peintres.
Puis il entreprit de photographier tout Paris et collabora ainsi pour la Commission du Vieux Paris.
C’est aussi dans cette rue, qu’à partir de 1921 Man Ray s’installa dans un atelier au rez-de-chaussée du 31bis rue Campagne-Première. Il eut ainsi l’occasion de rencontrer son voisin Eugène Atget, dont les photographies lui paraissaient remarquablement modernes, voire surréalistes. C’est ainsi que la jeune assistante américaine de Man Ray, Berenice Abbott, fit la connaissance d’Atget dont elle réalisa deux portraits avant sa mort en 1927. Quand la jeune photographe américaine rentra aux Etats-Unis, elle ramena avec elle plus d’un millier de négatifs réalisés par Atget et c’est grâce à elle que le travail d’Atget fut reconnu, notamment par l’ouvrage publié en 1930 : Atget, photographe de Paris. Sa reconnaissance posthume partit donc des Etats-Unis car bien qu’en contact avec plusieurs institutions parisiennes, il n’eut guère de reconnaissance de son vivant.

Nous revenons sur nos pas en empruntant le passage d’Enfer dont les façades rectilignes sont égayées par les mosaïques de l’arrière du bel immeuble situé au 31 rue Campagne- Première. Descendons le boulevard Raspail jusqu’à la place Denfert-Rochereau.

  • 17bis, rue Campagne-Première

  • 31bis, rue Campagne-Première

Place Denfert-Rochereau

Place Denfert-Rochereau
Colonne Morris
Atget - 1898
(BnF)

La place porte le nom du colonel Denfert-Rochereau, vaillant défenseur du territoire de Belfort durant la guerre de 1870 et représenté symboliquement par une réplique du lion sculpté dans le grès rouge de la montagne de Belfort par Bartholdi.
Est-ce un calembour voulu ? car autrefois y était située la barrière d’Enfer de l’enceinte des Fermiers Généraux, nom bien approprié pour une zone qui s’était effondrée à plusieurs reprises en 1774  et 1777 en engloutissant plusieurs maisons construites au dessus des carrières exploitées depuis des siècles. L’ingénieur Guillaumot missionné par Louis XVI se lança alors dans l’immense et fastidieuse tâche de  répertorier et consolider les galeries souterraines des carrières parisiennes.
Aujourd'hui,  s'ils ne descendent pas aux enfers, les visiteurs des Catacombes peuvent lire ces mots à l'entrée de l'ossuaire: "Arrête ! C’est ici l’empire de la mort ! ». Les murs des anciennes carrières sont recouverts des millions d'ossements qui furent transférés des anciens cimetières parisiens, entre 1785 et 1860. Le premier cimetière désaffecté pour des raisons d'insalubrité étant le cimetière des Innocents au centre de Paris près des Halles. Il faut imaginer les convois qui dès la nuit tombée traversaient tout Paris pour amener les ossements dans les carrières ainsi transformées en catacombes.
L’entrée des Catacombes se situe dans l’un des deux pavillons d’octroi bâtis par Claude-Nicolas Ledoux le long de l’ancienne enceinte des Fermiers Généraux.
L’autre pavillon jouxte aujourd’hui la bouche de métro.
De la cinquantaine des postes d’octroi monumentaux édifiés sur l’enceinte des Fermiers Généraux, subsistent ces deux pavillons, ainsi que les rotondes de la Villette et du Parc Monceau et les deux colonnes de la  place de la Nation. Ce mur long de 24 kilomètres, à vocation uniquement fiscale et non défensive fut démoli en 1860. On circule aujourd’hui sur son ancien tracé, en grande partie occupé par le métro aérien.

  • Porte d’Enfer
    Rue Denfert-Rochereau
    Atget – 1901
    (Musée Carnavalet)

Avenue René Coty - Regard des Eaux

Passons devant la gare de Denfert-Rochereau, la plus ancienne de Paris. Inaugurée en 1846, elle desservait la ligne de chemin de fer Paris-Sceaux. Rejoignons l’avenue René Coty.

Lors de la promenade de Belleville, nous avons vu plusieurs regards qui autrefois permettaient la surveillance et l’accès au réseau souterrain des eaux de pluie collectées sur les hauteurs de Belleville.  

Le regard XXV situé avenue René-Coty sur les terrains de l’hôpital de la Rochefoucauld est placé au dessus de l’aqueduc Médicis qui alimentait Paris en eaux pluviales collectées à Rungis. L’aqueduc débouchait au château d’eau de l’Observatoire, appelée aussi maison du Fontainier, qui de nos jours peut-être visitée sur demande ou lors des journées du Patrimoine. Nous aurons l’occasion de passer devant cette maison au cours de cette promenade, au débouché de la rue Cassini.
Henri IV qui se préoccupait du manque d’eau potable pour les parisiens demanda à son ministre Sully de restaurer l’ancien aqueduc gallo-romain de Lutèce, construit au IIème siècle pour alimenter les thermes de Cluny. La mort brutale du roi suspendit le projet qui fut repris plus tard par la reine Marie de Médicis qui souhaitait alimenter les fontaines et  bassins de son nouveau Palais du Luxembourg. Après dix ans de travaux, le nouvel aqueduc fut terminé en 1623, acheminant ainsi les eaux fluviales à la capitale en traversant Haÿ-les-Roses, Cachan, Arcueil et Gentilly,  jusqu’à la maison du Fontainier, avenue de l’Observatoire. Plusieurs conduits  partaient de cette maison afin d’alimenter le palais puis un peu plus tard les fontaines publiques.  L’aqueduc fut en service jusqu’à la moitié du XIXème siècle et depuis sa complète désaffectation en 1904, seule la canalisation qui passe sous le parc Montsouris continue d’alimenter le lac et la cascade du parc.

Continuons jusqu’à la rue Hallé que nous prendrons à droite, puis la rue Sophie Germain et tournons à droite dans l’avenue du Général Leclerc.
Rue Hallé, un magasin Sennelier,  aligne de multiples fournitures de dessin et de peinture. Un peu plus loin, le village d’Orléans, construit vers 1830 offre un charmant ensemble de petites maisons agrémentés de jardins.

  • Regard des Eaux
    Avenue d’Orléans ((aujourd’hui avenue du Général Leclerc)
    Atget – 1914
    (Mission du Patrimoine Photographique)

  • Regard XXV de l’aqueduc Médicis
    Hôpital la Rochefoucaud
    photographié de l’avenue René Coty

  • Village d’Orléans – rue Hallé

Avenue du Général Leclerc - Hospice de la Rochefoucauld

Au bout de la rue Sophie-Germain, tournons à droite dans l’avenue du Général Leclerc.

Au nr 15, derrière l’allée rectiligne bordée d’arbres, nous pouvons apercevoir la maison de retraite de la Rochefoucauld, dont nous avons pu voir de loin la façade arrière quand nous nous sommes arrêtés devant le regard, avenue René Coty.  Maison royale fondée en 1780 pour accueillir les militaires et ecclésiastiques malades et sans ressources, il est aujourd’hui un centre de gériatrie.

Continuons jusqu’à la place Denfert-Rochereau que nous allons traverser pour rejoindre le boulevard Arago. Sur notre gauche, avenue du Général Leclerc, nous passons devant la commerçante rue Daguerre où résida et travailla Agnès Varda. 

  • La maison La Rochefoucauld
    Avenue d’Orléans (aujourd’hui avenue du Général Leclerc)
    Atget - 1920
    (Maison du Patrimoine photographique)

Boulevard Arago - Jardin de l'Observatoire

Boulevard Arago, nous passons devant le jardin de l’Observatoire où Arago a de nouveau une statue depuis 2016. Cette œuvre tout en ondulation réalisée par le sculpteur Wim Delvoye, remplace l’ancienne statue de 1893 dont il ne reste aujourd’hui que le socle vide. Erigée en face du jardin, sur la ligne du méridien qui coupe le boulevard Arago (place de l’Ile-de-Sein), l’ancienne statue fut fondue par les Allemands en 1942.
A l’arrière du jardin se détache le dôme blanc de l’Observatoire. Créé par Colbert en 1667, l’Observatoire de Paris est le plus ancien des observatoires encore en activité. Réalisé par l’architecte Claude Perrault, le bâtiment fixe par son orientation le méridien de Paris, matérialisé au second étage par une ligne de cuivre.

Tournons à gauche dans la rue du Faubourg Saint-Jacques.

 

Rue du Faubourg Saint-Jacques - Hôtel de Massa

Cette photo prise par Atget montre l’hôtel de Massa, ancienne folie édifiée en 1777 qui aurait abrité les amours clandestines du Comte d’Artois, frère de Louis XVI.
Mais en 1905, cette maison était alors située à l’angle des Champs-Elysées et de la rue de la Boétie.
Vendu au duc de Richelieu, sept mois avant la prise de la Bastille, l’hôtel aurait continué à servir de lieu de plaisirs. Puis il fut abandonné sous la Révolution, période durant laquelle Alexandre Lenoir sauva deux statues de Michel Ange, l’Esclave Mourant et l’Esclave Rebelle, aujourd’hui au musée du Louvre.
Il retrouva son faste en devenant la résidence de l’ambassadeur d’Italie où se retrouvait toute la cour de l’Empire. Il continua d’être un lieu de fêtes organisées par le duc de Massa, compositeur mondain à la mode sous le Second Empire. 
Acheté en 1926 par le propriétaire des Galeries Lafayette souhaitant construire à son emplacement un complexe à l’américaine, l’hôtel échappa de peu à la démolition. Il fut démonté pierre par pierre en 1928 pour être reconstitué à l’identique dans les jardins de l’Observatoire.  Depuis cette date, il est le siège de la Société des Gens de lettres, association fondée en 1838 sur une idée d’Honoré de Balzac et dont la vocation est de  protéger le droit des auteurs.
Sur les Champs-Elysées, à l’emplacement de l’hôtel, s’élève un  immeuble art déco qui fut construit pour le compte de la National City Bank of America. Et par un curieux retour de l’histoire, l'immeuble abrite maintenant un concept store des Galeries Lafayette ouvert en mars 2019 …  

Tournons à gauche dans la rue Cassini.  

  • Façade sur rue de l’Hôtel Massa – Hôtel d’Artois à Paris
    Angle avenue des Champs-Élysées et rue de la Boétie
    Atget – 1905
    (Médiathèque du Patrimoine)

  • Hôtel de Massa
    aujourd’hui au 38, rue du Faubourg Saint-Jacques

Rue Cassini

(Maison du Fontainier)
Avenue de l'Observatoire
Atget
(Getty Museum)

En 1669, Giovanni Domenico Cassini est appelé pour diriger l’Observatoire, premier d’une dynastie familiale de Cassini qui en assura la direction pendant cent vingt cinq ans jusqu’à la Révolution.

François Arago qui plus tard dirigea l’Observatoire de 1843 à 1853 a très joliment évoqué son voisin Balzac qui résida rue Cassini : 
« … de cette fenêtre de la terrasse, j’aperçois la lumière vacillante de ses bougies : nous étions ainsi deux veilleurs nocturnes, moi, les yeux dirigés sur l’espace, lui, le front penché sur son papier. Et celui qui voyait le plus loin de nous deux, ce n’était peut-être pas l’astronome ! »

Ce n’est pas avec gaité de cœur que l’écrivain s’installa dans ce quartier qu’il décrit dans son roman Histoire des Treize, Ferragus :

« Là, Paris n’est plus ; et là, Paris est encore. Ce lieu tient à la fois de la place, de la rue, du boulevard, de la fortification, du jardin, de l’avenue de la route, de la province, de la capitale ; certes, il y a de tout cela, mais ce n’est rien de tout cela. C’est un désert.  » 

Mais il avait besoin de fuir ses créanciers qui assiègeaient son imprimerie rue des-Marais-Saint-Germain (rue Visconti aujourd’hui) et il emménagea donc dans une maison aux n° 4 à 8 de la rue Cassini, (Connaissance du Vieux Paris – J. Hillairet), sous le nom de son beau-frère Surville. 

Aux n° 3bis, 5 et 7, se succèdent trois belles villas d’artistes aux styles différents crées entre 1903 et 1906 par Louis Süe, peintre et architecte.

Au bout de la rue se trouve l’entrée de l’Observatoire où s’y sont succédé de grands astronomes. Le site web de l'Observatoire offre un très large éventail de moyens permettant au public d’accéder aux connaissances de l’astronomie.

Juste à côté se situe la maison du Fontainier (visite virtuelle) où se trouve le regard XXVII de l’aqueduc de Médicis dont nous parlions plus haut (avenue René Coty). Au sous-sol de la maison habitée par le Fontainier du roi se trouvait trois bassins de décantation, le premier alimentant le palais du Luxembourg, le deuxième les communautés religieuses des environs et le troisième plusieurs fontaines publiques de Paris. Des visites sont régulièrement proposées par l’Association du Paris Historique ainsi que lors des journées du Patrimoine.

Continuons par le boulevard de l’Observatoire, puis la rue Henri Barbusse pour rejoindre le boulevard de Port-Royal.

  • 6, rue Cassini
    Atget – 1912
    (Musée Carnavalet)

  • Villas
    3bis, 5 et 7rue Cassini

Boulevard de Port-Royal - Couvent de Port-Royal

La Maternité – Boulevard de Port-Royal
Atget – 1899
(BnF)

Port-Royal de Paris fut d’abord une annexe de l’abbaye de Port-Royal des Champs, établie depuis 1204 dans un site de la vallée de Chevreuse, près de Dampierre, dont on peut voir encore aujourd’hui quelques vestiges et un musée. En 1625, les terrains marécageux voisins de l’abbaye rendirent l’endroit si malsain que les religieuses vinrent se réfugier à Paris sur une propriété acquise par l’Abbesse Angélique Arnaud. C’est ainsi que la communauté fit édifier le grand monastère de Port-Royal de Paris.   

Le nom de Port-Royal est directement associé au jansénisme dont la doctrine hostile aux Jésuites y a été introduite en 1636 par l’abbé de Saint-Cyran, disciple de Jansénius. Blaise Pascal, engagé dans la querelle janséniste se rendait souvent à Port-Royal pour y rencontrer sa sœur et il y rédigea son célèbre pamphlet : les  Provinciales. Port-Royal prônait un catholicisme austère et menait un combat non seulement contre les jésuites mais aussi contre les débordements de la cour de Louis XIV. La pièce de Montherlant situe son action à Port-Royal sur une journée d’août 1664, avec  l’archevêque Beaumont de Péréfixe tentant de convaincre les religieuses de signer le Formulaire, document condamnant les propositions de Jansénius.
Sous la Révolution, Port-Royal devint prison sous le nom de … Port-Libre, et Lavoisier y passa ses dernières heures avant de mourir sur l’échafaud. En 1795, les locaux furent affectés à une maternité qui prit le nom en 1814 de Maternité de Port-Royal.

Les anciens bâtiments conventuels photographiés par Atget ont été conservés, ainsi que le cloître et la chapelle.

Traversons le boulevard et prenons la rue Pierre Nicole.  Tournons à droite dans la rue du Val de Grâce.

Rue du Val-de-Grâce

L'intérieur d'une cuisine Martin Drölling

Devant nous s’élève l’église du Val de Grâce dont la première pierre fut posée en 1645 par le jeune Louis XIV, alors âgé de six ans. Sa mère, Anne d’Autriche, avait fait le vœu d’élever un  temple magnifique  si Dieu lui accordait un enfant, ce qui se réalisa finalement après vingt-deux années de mariage, alors qu’elle atteignait ses trente-six ans.
C’est tout naturellement qu’elle choisit l’Abbaye du Val de Grâce où elle rencontrait très régulièrement l’abbesse Marguerite d’Arbouze. Lors de la réalisation de l’imposante église, François Mansart rencontra de grandes difficultés imprévues liées à la fragilité du sol reposant sur plusieurs étages de carrières anciennes. C’est d’ailleurs en s’aventurant dans ces carrières en 1793 que Philibert Aspairt, portier du Val de Grâce, s’est perdu et a erré jusqu’à sa mort. Son tombeau se trouve sous la place Louis-Marin, à l’endroit  où son corps  identifié grâce au volumineux trousseau de clés à sa ceinture, fut trouvé onze ans après sa disparition. Sa stèle est désormais un haut lieu de pèlerinage des cataphiles.
A la mort d’Anne d’Autriche, Louis XIV respecta le vœu de sa mère en faisant déposer son cœur au Val de Grâce, inaugurant ainsi une tradition qui se perpétua jusqu’à la Révolution. En 1793, les urnes contenant les cœurs royaux furent profanées. Une légende relatée par André de Castelot circule sur le tableau de Martin Drölling Intérieur d’une cuisine, selon laquelle le peintre aurait utilisé plusieurs de ces cœurs pour en extraire de la « momie », substance qui utilisée avec de l’huile permettrait d’obtenir un glacis incomparable …
A la Révolution, les Bénédictines du Val de Grâce durent quitter définitivement leur couvent transformé en hôpital militaire dont la vocation de médecine aux armées s’est maintenue jusqu’à nos jours. L’hôpital moderne bâti en 1979 a cependant fermé en 2016 et ses activités transférées sur deux hôpitaux militaires : Bégin à Saint-Mandé et Percy à Clamart.  Quant à L’église et au musée aménagé dans l’ancien monastère, ils sont ouverts au public; attention cependant pour les âmes sensibles, car le musée présente notamment des moulages extrêmement impressionnants de têtes de soldats de la première guerre mondiale atrocement mutilés.  

Au n° 6, de la rue du Val de Grâce, Alfons Mucha y posséda un grand appartement-atelier pendant les années qu’il passa à Paris de 1886 à 1906 où il imposa son style indissociable de l’Art nouveau.

Tournons à gauche dans la rue Saint-Jacques.

  • Rue du Val de Grâce
    Atget – 1900
    (Musée Carnavalet)

Rue Saint-Jacques - Couvent Feuillantines & des Bénédictins

Jusqu’à la Révolution, tout ce quartier était dévolu à la religion. Nous venons de le voir avec les Bénédictines du Val de Grâce et l’Abbaye de Port-Royal, il y avait aussi le couvent des Visitandines, le couvent des Ursulines, le Monastère des Carmélites, le couvent des Bénédictins anglais, le couvent des Feuillantines. Ce dernier avait été fondé par Anne d’Autriche en 1626. Supprimé sous la Révolution, ses bâtiments furent morcelés en différents logements. Le grand jardin où Victor Hugo jouait enfant lui a laissé ce doux souvenir qu'il évoque dans son poème Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813.    

Au n° 269 bis s’ouvrait autrefois le couvent des Bénédictins anglais, qui fuirent en 1640  le schisme en Angleterre et achetèrent aux Feuillantines un petit enclos. Plus tard, Jacques II, roi d’Angleterre, chassé de son trône par son gendre Guillaume III d’Orange, vint se réfugier en France où il vécut au château de Saint-Germain-en-Laye jusqu’à sa mort.  Il fut inhumé dans la chapelle du monastère jusqu’à la Révolution, période durant laquelle sa sépulture fut profanée afin d'en récupérer le plomb du cercueil.
Le bâtiment est aujourd’hui occupé par la Schola Cantorum, une prestigieuse école de musique.

  • Ancien couvent des Feuillantines
    269 bis rue Saint-Jacques
    Atget – 1900 /1901
    (BnF)

Rue de l'Abbé-de-l'Epée

Rue de l’Abbé
de l’Epée et
l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas
Atget – 1899
(Wikimedia Commons)

Avant de tourner dans la rue de l’Abbé de l’Epée, nous passons rue Saint-Jacques  devant l’Institut National des Jeunes Sourds, créé par Charles Michel de l’Epée (1712-1789), qui mit au point un système de signes basés sur la syntaxe de la langue française.
Jean-Denis Cochin, célèbre pour sa charité et l’aide qu’il apporta aux personnes défavorisées  fut curé de l’église Saint-Jacques du Haut-Pas de 1756 à 1780. Le petit hospice qu’il fit construire pour soigner les malades indigents dans le faubourg Saint-Jacques continua à s’agrandir pour devenir l’hôpital Cochin. Inhumé dans l’église, on peut encore voir sa pierre tombale, mais tout comme l’astronome Jean-Dominique Cassini et le janséniste Saint-Cyran, son squelette repose désormais dans les catacombes depuis leur translation en 1850.  

Traversons le boulevard Saint-Michel pour nous engager dans la rue Auguste Comte et entrer à gauche dans le Jardin des explorateurs qui prolonge le jardin du Luxembourg.

Jardin des Grands Explorateurs

Ce jardin créé en 1867 qui offre une harmonieuse perspective sur le Jardin du Luxembourg qu’il prolonge, est un hommage à Marco Polo et Cavelier de la Salle. L’imposante fontaine des quatre parties du monde est l’œuvre de plusieurs artistes : Davioud en réalisa la conception d’ensemble, Carpeaux la sculpture centrale représentant l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique sous forme de quatre femmes supportant la voûte céleste sculptée par Legrain, et enfin Frémiet composa les chevaux marins et les tortues du bassin.

Nous nous trouvons a peu près à l’emplacement du fameux château de Vauvert construit à la fin du 10ème siècle, alors éloigné du centre de Paris et sur lequel courait des bruits sinistres de fantômes et de démons. Ceci a donné  l’expression aller au diable Vauvert, pour signifier un voyage lointain et dangereux. Louis IX accorda ce domaine à des moines chartreux qui resta en leur possession jusqu’à la Révolution.  

Nous sortons du jardin des explorateurs pour rejoindre le boulevard du Montparnasse.

  • Fontaine de l’Observatoire par Carpeaux
    Jardin du Luxembourg
    Atget – 1901/1902
    (Musée Carnavalet)

  • Luxembourg
    Fontaine Carpeaux
    Atget – 1901/1902
    (INHA)

Boulevard du Montparnasse

Nous passons devant un restaurant célèbre, la Closerie des Lilas, haut-lieu de rendez-vous des intellectuels au début du vingtième siècle. Guillaume Apollinaire a évoqué ce Montparnasse devenu pour les peintres et les poètes ce que Montmartre était autrefois, l’asile de la belle et libre simplicité.

 

Nous arrivons au carrefour Vavin où tout le Paris artistique du début du XXème siècle se retrouvait dans quatre établissements aussi célèbres que la Closerie des Lilas. Ainsi, le Dôme, ouvert en 1897, fréquenté par de  nombreux peintres et par une communauté de riches Allemands dont le chef de file, Wilhelm Uhde, fit découvrir le Douanier Rousseau et Séraphine de Senlis comme le raconte si joliment le film Séraphine de Martin Provost.
Le Dôme était au centre de la vie des Montparnos, comme on appelait alors les artistes qui ont contribué à la notoriété de Montparnasse : Apollinaire, ses amis Max Jacob et Picasso, les surréalistes Breton et Man Ray qui immortalisa Kiki de Montparnasse en violon d’Ingres, les peintres Derain, Vlaminck, Gauguin, Modigliani, l’écrivain Ernest Hemingway… En face du Dôme, la Rotonde, au début modeste bistrot ouvrier et qui devint également le lieu de rendez-vous des artistes, sous l’impulsion de son nouveau propriétaire en 1911. Puis, le Sélect où se retrouvaient Hemingway et Scott Fitzerald et enfin la Coupole où se croisèrent Prévert, Picasso, Sartre et Beauvoir.  Autant de bonnes raisons pour terminer cette promenade ici dans l’un de ces cafés, frequentés par une clientèle de quartier et par peu de touristes.   

  • Le Dôme, boulevard de Montparnasse
    Atget – Juin 1925
    (MoMA)

Tous droits réservés - Année 2018 - Auteur texte et photos Paris d'aujourd'hui : Martine Combes